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Nous sommes le 30 août 1976 aux alentours de 10h quand survient une forte explosion au sommet de la Soufrière. Haroun Tazieff et Claude Allègre échappent d’un rien à la catastrophe. Alors que celle que l'on surnomme "la vieille dame" ou "la grande dame" connaît un regain d'activité et que l'accès au cratère délimité par un périmètre de sécurité est interdit au public, retour 47 ans après sur une journée entrée dans l’histoire guadeloupéenne.

"Je n’en reviens pas d’être encore vivant. Il n’y avait aucun problème. Le cratère, d’où s’exhalaient quelques vapeurs, était parfaitement calme et paisible, quand brusquement nous avons entendu un sifflement qui s’est très vite amplifié. Un jet de vapeur blanche a fusé. Une minute plus tard, les tourbillons sont devenus gris. C’était des cendres. On a fui, mais aussitôt la grêle de pierres a éclaté. Un vacarme assourdissant, pire qu’un barrage d’artillerie… Nous nous sommes réfugiés derrière un rocher ou un talus pour nous protéger le haut du corps. C’est un miracle que les plus gros blocs ne nous aient pas frappés de plein fouet. Une chance incroyable." Ces mots, ce sont ceux du célèbre volcanologue Haroun Tazieff au quotidien le Monde, le 1er septembre 1976, à sa sortie de l’hôpital de Pointe-à-Pitre.

La Soufrière en 1976


Il avait entrepris, deux jours plus tôt, une ascension de reconnaissance au sommet de la Soufrière avec un groupe composé de Claude Allègre, Guy Aubert, François le Guern, John Tomblin, Marcel Bof et José Ortega. Aux alentours de 10h, une violente explosion les surprend alors qu’ils se trouvent non loin du gouffre Tarissan. Elle va durer 13 minutes. 13 longues minutes accompagnées de projections de blocs jusqu’à 1 m3. Comme Tazieff, Le Guern et Bof, légèrement blessés, sont hospitalisés à Pointe-à-Pitre. Les autres, évacués en hélicoptère. C'est Michel Feuillard, alors directeur de l'Observatoire, qui avait lancé l'alerte.    

 

Une probable explosion cataclysmique

 

"Il y a 80% de roches magmatiques. C’est le phénomène le plus important depuis le début de la crise", déclare un peu plus tard Claude Allègre lors d’une conférence de presse.

"Les deux hommes n’étaient pas du tout d’accord sur les risques d’une éruption grave de la Soufrière", explique Marcelli Vaïtilingon, une trentaine d'années à l'époque et l’un des seuls habitants de Papaye à bénéficier d’un laissez-passer lors des évènements de la Soufrière. Il a ainsi pu accompagner de nombreuses fois les scientifiques lors de leurs travaux de constatation sur le volcan. "La première explosion phréatique, qui a plongé Saint-Claude dans l’obscurité, est survenue quelques semaines avant, le 8 juillet vers 9 heures. J’ai contribué à l’évacuation de nombreux malades hospitalisés à la Clinique des Eaux Vives", se souvient-il.

Marcelli Vaïtilingon
Marcelli Vaïtilingon, témoin de l'explosion de la Soufrière


5 jours plus tard, Haroun Tazieff, directeur du service de volcanologie à l’Institut de physique du globe (IPG) et vulgarisateur déjà bien connu du grand public, arrive sur place. "Pour lui, il n’y avait pas de risque majeur et il va rapidement quitter la Guadeloupe", se rappelle Marcelli Vaïtilingon. Mais la "vieille dame" continue à faire des siennes. Du 24 au 28 juillet, plusieurs explosions avec retombées de cendre à Saint-Claude et Matouba se produisent. Une nouvelle explosion survient au sommet du volcan le 9 août. Jusqu’au 14, l’activité ne faiblit pas.



Duel au sommet de la Soufrière



Jean-Claude Aurousseau, préfet de la Guadeloupe, s’inquiète et fait appel à de nouvelles expertises. Des géologues débarquent et Claude Allègre, tout fraîchement installé au poste de directeur de l’IPG, s’empare du dossier. Pour eux, la probabilité d’une éruption de magma est bien réelle.

Et le 15 août, le préfet de la Guadeloupe ordonne l’évacuation totale de l’extrémité sud de Basse-Terre, plus précisément de la région située entre Vieux-Habitants à l’ouest et Capesterre-Belle-Eau à l’est, à l’exception de Vieux-Fort. Soit 73.600 personnes. "Cette décision a été prise à la suite d’un nouvel avis des volcanologues et experts qui se trouvent sur place. Après avoir détecté, sous le dôme du volcan, une cavité magmatique contenant une puissance d’énergie équivalente à plusieurs bombes A, les spécialistes ont prévenu les autorités qu’il existait un risque d’explosion dans les prochains jours, sinon les prochaines heures", précise l’arrêté. "À ce moment-là, il y avait plusieurs centimètres de cendres qui recouvraient les maisons de Matouba et Papaye. Quant à moi, j’ai fait des dizaines d’allers-retours pour évacuer les gens", se remémore Marcelli Vaïtilingon.

La Soufrière - 1976


Haroun Tazieff, prévenu, ainsi que Claude Allègre, se rendent au chevet du volcan et décident d’entreprendre cette fameuse ascension de reconnaissance du 30 août qui manqua de coûter la vie aux deux hommes.

Une prise de risque qui cristallisera la haine viscérale que les deux hommes se voueront toute leur vie . Entre Tazieff, le volcanologue de terrain, impulsif et charismatique et Allègre, le chercheur couvert des plus hautes distinctions scientifiques. Tazieff, démis de ses fonctions, fit condamner Allègre pour licenciement abusif. Et Allègre gagnera quelques temps plus tard son procès en diffamation contre Tazieff. Un duel commencé sur la Soufrière et qui divisera pour des décennies la volcanologie française.

Tazieff et Allègre à la Soufrière en 1976


Boris Courret

Sources :

https://www.ipgp.fr/~beaudu/soufriere/forum76.html

https://www.lemonde.fr/archives/article/1976/09/01/m-haroun-tazieff-a-ete-legerement-blesse-au-cours-dune-mission-a-la-soufriere_2965753_1819218.html

https://la1ere.francetvinfo.fr/docu-1976-l-eruption-de-la-soufriere-en-guadeloupe-racontee-de-l-interieur-par-un-volcanologue-1029406.html

https://www.youtube.com/watch?v=DYaR06U3QGY

https://www.liberation.fr/societe/1998/02/06/duel-au-dessous-de-la-soufriere_229081/

https://www.la-croix.com/Sciences/Environnement/15-aout-1976-Basse-Terre-Guadeloupe-evacuee-sous-menace-Soufriere-2016-08-12-1200781812

https://www.liberation.fr/societe/1998/02/06/feu-haroun-tazieff-portraits-croises-du-volcanologue-mort-lundi-a-l-age-de-83-ans-l-homme-des-rendez_229078/

https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/07/13/haroun-tazieff-condamne-pour-diffamation-envers-claude-allegre-les-mots-pour-le-dire_3991387_1819218.html

 

 


Source URL: https://www2.guadeloupe-parcnational.fr/actualites/30-aout-1976-le-jour-ou-haroun-tazieff-aurait-pu-mourir-la-soufriere