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Parmi les problématiques récurrentes dans le domaine de la préservation des milieux naturels, celle de la gestion des Espèces Exotiques Envahissantes (ou « EEE ») est une des plus épineuses.

Cette appellation est définie par l’UICN de la manière suivante : «  une espèce exotique envahissante est une espèce introduite par l’homme en dehors de son aire de répartition naturelle (volontairement ou fortuitement) et dont l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques et/ou économiques et/ou sanitaires négatives. ». Comme on le remarque dans la dernière partie de la définition, c’est le cortège d’impact néfastes pour la nature et l’être humain qui rend ces espèces dangereuses. La plus connue d’entre elles est le tristement célèbre rat noir (Rattus rattus), qui sévit sur nos îles depuis près de 500 ans.

Cette espèce est en effet un hôte commun des navires depuis fort longtemps, se nourrissant de tout ce qui passe à portée de ses sens affûtés durant la nuit, sa nature discrète faisant d’elle un passager clandestin de choix. Suivant les pérégrinations des êtres humains depuis des temps reculés, ces rongeurs ont su se faire une place sur tous les continents excepté l’Antarctique grâce à leurs remarquables facultés d’adaptation. Originaire de l’Ouest de l’Asie en couvrant largement le territoire Indien jusqu’à la frontière avec le Myanmar (ancienne Birmanie), ce membre de la famille des muridés est bien évidemment présent dans le club très privé des 100 espèces les plus invasives au monde selon le « Global Invasive Species Programme (GISP) ».

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1 : Seul les pays ayant étudié l’invasion de Rattus rattus et déclaré cette dernière sont exposés ici dans cette carte provenant du CABI. Il est évident que bien plus de pays sont touchés par cette problématique.

On distingue cette espèce des autres rongeurs invasifs de Guadeloupe grâce à plusieurs critères : comparé au rat surmulot (Rattus norvegicus), il est plus petit, ses oreilles sont plus grandes et sa queue est plus longue (elle fait la taille de son corps). Pour ce qui est de la différenciation avec la souris grise, c’est la taille qui est un facteur important, le rat étant plus imposant que la souris et présentant des moustaches plus courtes que cette dernière. Enfin, là où la souris privilégie les zones à forte présence humaine et où le rat surmulot apprécie particulièrement les zones humides, le rat noir n’a pas besoin de l’activité humaine pour se maintenir dans une zone et se répartit dans presque tous les milieux.

Comme chacun sait, la capacité de reproduction de ce rongeur est très importante : une femelle peut engendrer plus de 28 petits chaque année. Ce chiffre en dit long sur l’impact que peut avoir cet animal sur son habitat et les espèces qui l’occupent, d’autant que son adaptabilité aux différents milieux étant forte, on le retrouve presque partout. Très opportuniste en ce qui concerne la ressource alimentaire, il à même su exploiter les végétaux (et parfois les animaux) des îlets du territoire Guadeloupéen. Se nourrissant principalement de fruits et de graines sur ces derniers, il n’hésite pas à s’en prendre aux vertébrés et invertébrés à sa portée. Ainsi, les tortillons, les oiseaux et leurs œufs font aussi partie de son menu, au même titre que les Anolis endémiques des îlets comme "Ctenonotus marmoratus pigeonnensis" pour les îlets Pigeon et "Ctenonotus marmoratus Kahouannensis" pour l'îlet Kahouanne. De même, les populations sensibles d’orchidées Brassavola cucullata de certains îlets se trouvent négativement affectées par cette EEE et elle ne sont probablement pas les seules à en pâtir.

Pour préserver l’état des îlets et le patrimoine naturel unique qui les composent, le Parc veille activement à suivre ces sites par une surveillance constante et de nombreuses actions de lutte contre le « ship rat » en anglais (« rat de navire »). C’est en particulier l’activité de piégeage qui domine car il permet d’étudier les populations de rats capturés pour connaître précisément le comportement de l’espèce et sa biologie dans le contexte particulier de surfaces très restreintes aux écosystèmes spécifiques. On retrouve dans la chronologie des opérations de piégeage menées par le Parc national :

- La première tentative d’éradication sur l’îlet Fajou en 2001 qui avait permis d’éliminer 742 rats de l’espèce Rattus rattus (mais aussi 76 mangoustes et 182 rat surmulots). Les premières autopsies ont également été réalisées durant cette mission pour mieux appréhender comment la population se maintien sur l’îlet.

- La seconde partie de l’éradication à Fajou durant 2002 avait affirmé l’efficacité du premier passage en ne dénombrant que 264 rats noirs capturés, sans pour autant pouvoir avérer une éradication totale de l’espèce sur l’îlet.

- La régulation des populations de rats de l’îlet Fajou couplée à une analyse des contenus stomacaux par l’INRA et le Parc de 26 rats ont permis d’établir précisément le régime alimentaire de ces derniers. Cette étude réalisée en 2007 dans le cadre du projet « Assessment and Limitation of the Impacts of Exotic species in Nationwide insular Systems » (ALIENS) à mis en relief une gamme plus large que prévue de plantes et animaux consommées, comme les chenilles.

- La régulation des populations des îlets Kahouanne et tête à l’Anglais en 2013, qui à révélé l’absence totale de rats sur le second îlet, tandis que 89 rats ont été prélevés pour Kahouanne.

- La régulation des populations de l’îlet Christophe en 2015 de 36 rats.

- La régulation des populations des îlets Pigeon en 2017, pour un total de 73 individus identifiés sur les deux îlets.

- La régulation des populations sur l’îlet la Biche de 2020 avec 16 rongeurs capturés.

- La régulation des populations à l’îlet Christophe en 2020 pour 32 spécimens trouvés.

- La régulation des populations aux îlets Pigeon en 2020 suite au confinement, qui a permis d’enlever 46 mammifères envahissants.

- La régularisation des populations de l’îlet Kahouanne en 2020, avec 46 rats capturés au total. Les données montraient une population importante, soutenant l’intérêt de continuer ce type de mission.

Des autopsies ainsi que des prélèvements ADN ont été réalisés en lien avec l’INRA et l’AgroCampus Ouest de Rennes lors des piégeages de 2013, 2015, 2017 et 2020. Lors de cette même dernière année, les cadavres des rongeurs ont de plus été envoyés à une doctorante de l’Institut Pasteur (IP) pour une étude sur les parasites pulmonaires.

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Fajou © PNG

Une autre fonction des campagnes de régulation est de libérer les espèces locales de la pression qu’induit la population de rats sur chaque îlet : en éliminant ces EEE, la disponibilité en place et nourriture est accrue pour la faune Guadeloupéenne, la flore peut se perpétuer avec moins de perturbations et le caractère prédateur du rat n’empêche plus certaines espèces de prospérer. Pour en connaître le plus possible, des autopsies ont été effectués en 2013 pour Kahouanne de manière à déterminer certains critères sur la population de l’îlet (sexe, âge, taille, poids, etc) et les parasites qu’ils accueillaient. Couplé à cela une analyse génétique a été entamé, qui c’est étendue aux îlets Pigeon en 2020. Cette nouvelle composante dans l’approche de la connaissance des espèces a permis d’en savoir plus sur le transfert de gènes des groupes de chaque îlet et de connaître d’autres aspects (transfert entre les îlets, origines de populations…) jusqu’alors indécelable de la biologie de cet invasif.

Toutes ces données, en plus de faire avancer de manière générale l’état des connaissances sur cette espèce dans des contraintes particulières, aident l’ensemble du Parc national et ses partenaires à mieux gérer les zones envahit par le rat noir. Chaque donnée nous apportant son lot d’informations, nous améliorons sans cesse nos stratégies de gestion pour être le plus efficace dans notre lutte contre les EEE en respectant au mieux la biodiversité locale.

Pour améliorer cette démarche, des opérations de piégeages sont organisées aussi cette année, mais en utilisant des dispositifs nouvelle génération plus performants et sélectifs. En faisant appel à des dispositif de piégeage semi-automatiques, l’approche des opérations de dératisation est simplifiée et gagne en efficacité. En effet, avec l’aide d’une entreprise spécialisée et de pièges autonomes sur de plus longues durée et ne présentant aucun risque pour les autres espèces des îlets, nous espérons esquisser un avenir plus sûr pour les îlets de l’archipel.

En effet, il est toujours bon de rappeler que de telles opérations de piégeage ne se font pas sans penser aux animaux que l’on impacte, qu’ils soient qualifiés « d’invasifs » ou non. Ainsi, des procédures encadrent ce type d’activités pour diminuer au maximum le stress enduré par l’individu. De même, la mise à mort est effectuée selon une méthode sûre et rapide dans un souci de respect du bien-être animal. Le travail de gestion qui incombe aux dirigeants et aux agents du Parc impliquent de lutter pour préserver notre patrimoine naturel unique, qui fait partie de l’identité de l’archipel.

C’est non sans écueil que les équipes du Parc national travaillent chaque jour à conserver au mieux la biodiversité de la Guadeloupe, alors n’oubliez pas : « Park nasyonal, sé richès an nou ».

Article rédigé par :

Barthélémy DESSANGES
Chargé de mission «Vulgarisation scientifique»
Département Patrimoines et Appui aux Territoires - Service Patrimoines naturel, paysager et culturel

Avec la contribution de :

Simone MÈGE
Chargée de mission "Milieux marins"
Département Patrimoines et Appui aux Territoires - Service Patrimoines naturel, paysager et culturel

Date de publication : Avril 2021


Source URL: https://www2.guadeloupe-parcnational.fr/node/2461